Apaharan
Traduction : Rapt
Langue | Hindi |
Genre | Film de gangsters |
Dir. Photo | Arvind Kannabiran |
Acteurs | Nana Patekar, Bipasha Basu, Ajay Devgan |
Dir. Musical | Wayne Sharpe , Aadesh Shrivastava |
Parolier | Sameer |
Chanteur | Sunidhi Chauhan |
Producteur | Prakash Jha |
Durée | 170 mn |
Ajay Shastri (Ajay Devgan) est un fils de bonne famille qui vit avec son père (Mohan Agashe), un intellectuel célèbre pour son intransigeance et sa probité. Par un malheureux concours de circonstances, Ajay, sommé de rembourser des dettes, est contraint d’improviser l’enlèvement d’un homme important afin de réunir la somme nécessaire. Mais une fois dans ce milieu, Ajay va prendre goût au crime organisé. Petite frappe téméraire, il va connaître une rapide ascension dans la mafia locale sous l’égide du parrain Tabrez Alam (Nana Patekar), un leader politique musulman…
Apaharan s’inscrit dans la grande tradition des films de gangsters hindis, un genre associé habituellement à Ram Gopal Varma, auteur de films mémorables comme Satya, Company ou, plus récemment, l’intimiste Sarkar. Et Prakash Jha a beau ignorer tout de l’élégante photographie et de la mise en scène sophistiquée du maître, il n’en parvient pas moins à le concurrencer sur son propre terrain, aidé en cela par le scénariste du brillant Khakee. Prenant le parti du réalisme, il entreprend en effet une œuvre ambitieuse, lointaine héritière des polars sociaux de Sidney Lumet, qui dénonçaient les abus de la société par le biais du film de genre.
Alors qu’un film comme Lord Of War par exemple, sorti la même année, est une dénonciation méthodique du trafic d’armes traitée avec les codes du film d’action hollywoodien, Apaharan, en reposant sur les conventions du film de gangsters, a pour cadre précis le Bihar, état du nord de l’Inde, et sa mafia spécialisée dans les enlèvements de notables ; si l’on en croit d’ailleurs le réalisateur, ceux-ci sont fréquents et les paiements des rançons qui en découlent y sont très lucratifs, parce que la police est débordée et ne peut traiter tous les cas de ce genre. Pire, elle semble gangrenée par des policiers véreux, de mèche avec la mafia locale, une mécanique criminelle bien huilée dont Prakash Jha explore tous les rouages.
On apprend par exemple qu’il est plus sûr pour les chefs de gangs de séjourner en prison, leur puissance dans la région leur permettant, avec la complicité de certains fonctionnaires, de s’assurer les bonnes grâces, voire la soumission totale de tout le personnel de la prison. Il faut voir la scène où notre héros devenu truand, d’un commun accord avec son mentor Tabrez Alam, se fait arrêter « de son plein gré » afin d’être incarcéré au plus vite : dans le couloir de la prison où il entre, des dizaines de gardiens se prosternent littéralement devant lui, touchant ses pieds à son passage en signe de salut respectueux, de peur de subir les foudres du jeune parrain ! Le chef de gang vit donc dans sa cellule comme un prince, regarde sa télévision personnelle, donne des ordres à ses hommes avec son téléphone portable, reçoit des visites… Le plus fort, c’est qu’il semble également pouvoir sortir à tout moment : il lui suffit de prétexter des problèmes de santé, et aussitôt le médecin du pénitencier lui signe un papier qui lui permet d’être emmené dans une chambre d’hôpital, où il a tout loisir de recevoir ses hommes de main.
Ajay Devgan est impeccable dans le rôle du jeune loup aux dents longues, même s’il est moins charismatique que dans ses rôles de truands d’âge mûr de Khakee et Company. Mohan Agashe est également parfait dans le rôle du père idéaliste, opposé à toute forme de corruption même si le recours à cette dernière pourrait permettre à son fils d’obtenir un travail. Mais le meilleur est sans conteste Nana Patekar, l’un des plus grands acteurs indiens, excellent comme à son habitude dans ce rôle de gangster cynique qu’il a, selon ses dires, préparé plus d’un an avant le tournage du film. A de rares exceptions près (Ab Tak Chhappan, Taxi No 9211), ce comédien expérimenté est cantonné ces dernières années dans des seconds rôles, où il vole invariablement la vedette à ses partenaires, que le film soit réussi (Bhoot, Bluffmaster) ou non (Shakti - The Power). Dans Apaharan, la scène la plus marquante est celle où il sermonne deux de ses jeunes hommes de main, dont son propre neveu, parce qu’ils l’ont dénoncé sous la torture des policiers, avant de les exécuter froidement ; sans complaisance aucune, le réalisateur ne filme pas la scène jusqu’au bout, laissant juste résonner deux coups de feu hors champ (un procédé qui rappelle la déchirante scène finale d’Hana-Bi de Kitano). Et pourtant, le temps de la courte minute qui suit, la douleur contenue du bourreau interprété par Patekar va poindre confusément, ouvrant ainsi une brèche inattendue dans la psychologie de ce mafieux impitoyable, que l’on croyait solide comme un bloc de granit.
Certes, ce film qui recherche le réalisme a paradoxalement recours à quelques ingrédients du masala bollywoodien qui semblent déplacés, comme la brève histoire d’amour d’Ajay avec Bipasha Basu, ou bien une demi-chanson inutile au milieu du film, mais ces passages obligés sont vite évacués ; quant aux scènes classiques de mélodrame familial entre Ajay et son père, elles sonnent juste grâce au naturel des comédiens. Quoi qu’il en soit, ces minuscules fautes de goût sont négligeables au regard de la richesse du film, de sa relative authenticité et de son rythme soutenu. L’une des meilleures productions de Bombay de ces dernières années, Apaharan est à la fois un film-dossier très documenté sur la mafia du Bihar, et le film de gangsters hindi le plus passionnant depuis Company.