Bairavaa
Langue | Tamoul |
Genre | Film d’action |
Dir. Photo | M. Sukumar |
Acteurs | Vijay, Jagapathi Babu, Y. G. Mahendran, Keerthi Suresh |
Dir. Musical | Santhosh Narayanan |
Paroliers | Vairamuthu, Arunraja Kamaraj, Roshan Jamrock |
Chanteurs | Benny Dayal, Priyadarshini, Haricharan, Darshana KT, Vijay, Ananthu, Arunraja Kamaraj, Roshan Jamrock |
Producteur | B. Bharathi Reddy |
Durée | 169 mn |
Un héros flic, pompier, étudiant, inventeur, scientifique ou même sans-emploi, on pensait avoir tout vu… Jusqu’à la sortie de Bairavaa, avec Ilayathalapathy Vijay en agent de recouvrement au service d’une banque ! Affublé d’une perruque assez ridicule et armé d’une batte de cricket, Bairavaa s’en va défier les voyous sur un terrain de jeu pour leur faire rembourser une dette… wow ! Il fallait y penser et on n’est pas loin du WTF monumental. Imaginez un court instant, Ryan Gosling incarnant un hôte de caisse chez Lidl, en pleine croisade contre de vilains malotrus chipant des Princes de Lu sous leurs manteaux… Bref, le pitch de départ faisait craindre le nanar intersidéral, mais ce n’est pas si nul que ça et ce détail n’est qu’un prétexte pour s’attaquer à des sujets ô combien sérieux comme la délinquance financière, la criminalité en col blanc, la corruption, l’extorsion de fonds, le viol et les arnaques autour des écoles privées.
Les banques indiennes ont une arme secrète que la Société Générale ou le Crédit Lyonnais n’ont pas ! Lorsqu’un vilain débiteur refuse de payer ses dettes, un homme, sans peur et sans reproche, aux méthodes expéditives, mais toujours avec une pointe d’humour, les ramène à la raison, quitte à leur faire cracher quelques dents. Il s’appelle Bairavaa, comme le dieu de la destruction de la trinité hindoue, mais à la place du trident, il fracasse les crânes avec, à peu près, tout ce qu’il peut avoir sous la main. Tout va pour le mieux, pour lui, mais surtout pour les méchants du film, jusqu’à ce moment précis où il croise la route de Malarvizhi (la belle héroïne !) dont la vie est menacée par Periyakannu alias PK et son homme de main, Kottai Veeran. Mais lorsque Bairavaa décide de prendre fait et cause pour la belle, la messe est dite pour les deux tortionnaires. Ça va barder et ça ne sera pas beau à voir ! L’agent de recouvrement devient alors l’agent de nettoyage.
La construction de Bairavaa est assez classique et ne s’écarte pas beaucoup de l’archétype du divertissement familial tamoul, autrement appelé masala. Nous retrouvons le même découpage avec les deux parties, dont la première présente les principaux protagonistes, leurs relations et les enjeux, alors que la seconde est rythmée par les passes d’armes et autres monologues anti-corruption.
Finalement, la petite nouveauté du film, n’en est pas vraiment une, car c’est l’inévitable procédé du flashback qui préparait jadis, les héros des années 80 à un combat sans merci face au grand méchant. Souvenez-vous, la mère larmoyante et meurtrie, révélant le nom de l’assassin du père d’Amitabh Bachchan ! Tadadada ! Les trompettes dramatiques sonnant le glas de l’affreux Amrish Puri qui poignarda alors, dans le dos du paternel, en ricanant comme un diable ! Les yeux de Big B s’allumaient comme un réchaud à gaz, pour brûler ardemment de colère ! Le réalisateur Bharathan a pensé à déterrer ce vieil outil narratif, non pas pour le héros tout puissant, mais l’héroïne de l’histoire, Malarvizhi. C’est une très bonne idée qui rompt peu avec les habitudes. Cela permet d’une part, d’éviter les niaiseries d’une histoire d’amour naissante entre les deux têtes d’affiche, en première partie. D’autre part, Malarvizhi est rapidement placée au cœur de l’intrigue et ça, c’est génial ! Car on ne le dira jamais assez, le cinéma tamoul méprise les actrices en leurs confiant des rôles de pots de fleurs romantiques, tout juste là pour ajouter du glamour, remplir le champ dans les séquences musicales et jouer les demoiselles en détresse.
Je rassure les puristes du genre, Malarvizhi ne déroge pas à certaines règles du cinéma tamoul, elle est totalement désespérée et entièrement dépendante du super-héros phallique et indestructible qu’est Vijay (dommage que la moumoute aérodynamique gâche un peu l’effet). Cependant, le rôle féminin est écrit pour dénoncer les violences faites aux étudiantes et souligner la détresse de celles qui osent s’opposer au système. Ce détail change complètement la portée du film et le fait passer du simple masala régressif, à quelque chose de plus engagé et consistant dans le propos.
Soudain, l’engagement de Bairavaa aux côté de Malarvizhi trouve une autre résonance et nous épargne le sempiternel combat du héros pour gagner la main de sa promise. Mis à part cette petite audace, qui constitue le principal intérêt du film, le reste n’est rien d’autre que du réchauffé qui se laisse regarder sans trop de mal. Le réalisateur Bharathan semble avoir réussi cette fois sa cuisine, en dosant plus habilement les ingrédients, comme la comédie, la romance, l’action et les scènes plus sérieuses consacrées aux tourments des étudiants victimes d’un dispositif mafieux qui les rackette, les intimide et les fait taire, parfois pour de bon. Le rythme est bon, car on ne s’ennuie jamais et personnellement, je n’ai, à aucun moment, regardé ma montre en guettant la fin du film, ce qui est déjà un bon signe.
En revanche, la dernière demi-heure propose aux spectateurs adeptes de la machine à coudre Singer et autres cinéastes en herbe voulant se lancer dans la haute couture chez TATI Mariage, un cours de couture, option fil blanc ! On peut affirmer sans le moindre doute qu’on a là parmi les plus grosses ficelles jamais utilisées dans l’histoire du cinéma tamoul et je pèse mes mots. Je suis particulièrement dur avec ce film-là, car on n’est pas dans un divertissement complètement barré type Vedalam où cela est assumé avec second degré, mais un film de divertissement traitant d’un sujet parfaitement sérieux. Un héros accomplissant des prouesses physiques d’un Spiderman, on a déjà du mal à l’avaler, mais on est dans un masala indien et ça passe limite avec une gorgée de chai. En revanche, lorsqu’il se prend un coup de couteau, organise une campagne d’affichage contre le méchant, pour le budget d’une élection présidentielle, infiltre une équipe d’intervention du RAID sans le moindre mal, et j’en passe… Ça fait beaucoup de rebondissements et de situations bidons. On a l’impression que le réalisateur Bharathan prend les spectateurs pour des nouilles.
Côté interprétations, Vijay sait tout faire et ce n’est pas une nouvelle… Enfin, tout faire à l’exception de choisir un script ou un réalisateur qui en vaille la peine. Le réalisateur Bharathan est surement un gars sympathique, mais on ne se souvient de lui que pour l’énorme bouse qu’est Azhagiya Tamil Magan où Vijay campait l’un des méchants les plus nuls de l’histoire récente de Kollywood. Alors pourquoi retravailler avec ? Peut-être pour les dialogues où Bharathan est bon, et on a droit effectivement à quelques monologues sympas et bien écrits. Mais c’est daté, moralisateur et le personnage principal ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes par ses collègues redresseurs de torts dans des films similaires.
Alors côté comédie, on touche le fond avec le pseudo-comique Sathish, qui fait d’habitude sourire sans jamais faire rire, mais là, il est consternant au possible et j’ai trouvé Vijay bien plus drôle et efficace dans l’exercice. Leurs sketchs ensemble, ne fonctionnent que grâce au flair comique de Vijay, qui est irréprochable et dispose de ce fameux sens de la comédie. Enfin, la vraie bonne surprise de Bairavaa, c’est la présence de l’actrice Keerthi Suresh qui apporte beaucoup d’humanité et de sensibilité par son jeu et cela sert totalement le propos du film, lorsqu’elle dénonce les injustices faites aux étudiants et leurs familles. La détresse qu’elle communique au spectateur, fonctionne et provoque de l’empathie. On se sent ainsi révolté par ce qui lui arrive et c’est mission accomplie pour la jeune actrice qui a su pleinement exploiter ce rôle, malgré ce qui lui est infligé par le réalisateur en termes d’impératifs, comme jouer les potiches en présence du héros, paraître plus faible que lui et avoir besoin de ses muscles saillants face à l’immense cruauté des méchants.
En parlant des vilains, eh bien c’est navrant. Ils sont eux aussi victimes des conventions du masala tamoul, en étant réduits à jouer les méchants excessifs, caricaturaux, ridicules, débiles et voués à se faire battre par le héros de la plus humiliante des manières. J’aime beaucoup Daniel Balaji, l’un des acteurs croisant le fer avec Vijay. C’est un interprète extrêmement talentueux, vu dans Vettaiyadu Villaiyadu face à Kamal Hasan et il a d’ordinaire une véritable présence, une spontanéité et une grande intelligence dans son jeu. La manière dont il est réduit à jouer les brutes épaisses, est terriblement dommageable pour le cinéma tamoul, qui ne lui donne pas un rôle à sa mesure.
Techniquement, ce n’est ni bon, ni mauvais. Cela est certainement dû au budget moumoute de Vijay et on ne retrouve pas la richesse d’une production comme Theri (précédent film de Vijay) où on sentait le soin et le souci de grandeur dans les décors, le volume des figurants ou encore les costumes. Bairavaa a l’air un peu fauché et c’est curieux pour un grand film d’une star importante comme Vijay. La grosse déception vient sans aucun doute de la musique, où on attendait (peut-être beaucoup) du compositeur Santhosh Narayanan qui a passé une étape importante de sa carrière l’année dernière, en signant la bande originale de Kabali pour la Superstar Rajinikanth. Mais cette fois, c’est un résultat mi-figue, mi-raisin, car si les chansons sont plutôt ordinaires et de modeste facture, la bande son est très bonne. Doit-on en conclure que le musicien est plus à l’aise dans des projets moins commerciaux ? Car malgré son statut de blockbuster, Kabali était davantage un film de genre.
Enfin, la vraie réussite technique de Bairavaa réside dans ses chorégraphies martiales qui ont été parfaitement réglées par Anal Arasu et religieusement exécutées par un Vijay en forme olympique. On peut certes lui reprocher son extravagance capillaire, mais lorsqu’il se recoiffe avec beaucoup de classe et d’aplomb après une baston parfaitement maîtrisée… On applaudit des deux mains, l’homme et son postiche, qui joue aussi bien que lui ! Les bastons sont impressionnantes à l’écran grâce à la caméra, très inspirée, du chef opérateur M. Sukumar, à qui l’on doit les très belles photos de Kumki et Mynaa.
Qu’on aime ou pas son acteur principal, on doit lui reconnaître une grande qualité, son implication totale et sans retenue dans chacun de ses projets. Qu’il s’agisse de Sura (l’un de ses plus gros échecs), Theri (énorme carton) ou Bairavaa, Vijay se donne à fond et on le voit clairement à l’écran. La moindre scène d’action, de danse ou de comédie est livrée avec tellement de générosité que le bonhomme vous hameçonne par son énergie communicative. Même si je ne suis pas fan, l’acteur continue à m’impressionner, film après film, par son professionnalisme dans une industrie où d’autres stars enchaînent parfois des bandes alimentaires sans grande conviction. Bairavaa n’est pas le meilleur de ses films et il est plutôt décevant par rapport à Theri qui ferait office de chef d’œuvre à côté. Cependant, malgré des méchants clownesques, le mal qu’ils représentent à l’écran est bien réel et condamne de nombreux étudiants à la résignation et l’abandon. J’ai aimé cette dénonciation d’un système scandaleux qui prospère en extorquant des sommes importantes en échange d’une promesse d’avenir aux étudiants les plus modestes. Le système éducatif indien est profondément malade depuis des années à cause de ces grandes écoles qui s’avèrent parfois être de grosses arnaques faisant de l’accès aux études supérieures, un business lucratif.
Bairavaa est un masala commercial certes fauché, mais doté d’une conscience sociale.