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La critique de Fantastikindia

Par Alineji - le 5 juin 2014

Note :
(9/10)

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Diffusée sur Orange Cinemax du 25 octobre au 7 décembre 2010, disponible en DVD depuis quelques mois, la troisième et dernière saison de In Treatment (titre traduit en France par En Analyse et au Canada par Thérapie, terme plus approprié) met en scène Irrfan Khan, comme l’un des trois patients suivis par le psychanalyste, psychiatre et psychologue, Paul Weston, alias Gabriel Byrne.

Le principe est le suivant : Paul Weston reçoit quotidiennement, dans son cabinet de Brooklyn, des patients pour une séance thérapeutique et, en fin de semaine, le vendredi, il est lui-même suivi par sa thérapeute, Adèle. Chaque épisode d’environ 25 minutes (la durée peut varier légèrement en fonction de l’évolution du personnage traité) est consacré à un patient ou à la propre cure de l’analyste. C’est ce qui fait l’originalité de la série. Les deux premières saisons étaient calquées sur celles de la série israélienne Be’Tipal, créée par Hagai Levi, mais dans la troisième, entièrement originale, les personnages s’émancipent du modèle initial.

Mais, pourquoi la critique d’une série américaine sur Fantastikindia ? Qui plus est de quelques épisodes seulement ? Pour Irrfan Khan ? Oui, bien sûr. On l’aime beaucoup et, à vrai dire, il a été la raison première de l’achat du DVD. Cela n’aurait pourtant pas suffi. Irrfan joue souvent à l’international, mais dans des rôles plus ou moins intéressants et qui n’ont pas forcément de lien avec l’Inde. Là, le rapport est direct et les questions que soulève son personnage, entre autres sur son identité, sa culture, son rapport aux autres, à sa liberté, sont tout à fait passionnantes.

Les sept épisodes qui nous intéressent ont pour pivot un ancien professeur de mathématiques bengali, veuf depuis peu et fraîchement arrivé à New York. Un lundi donc, Paul Weston voit débarquer dans son cabinet Arun Sanyal (Sumrat Chakrabarti), médecin ostéopathe, et sa femme Julia (Sonya Walger), agent littéraire. Julia et Arun demandent au psychothérapeute de suivre le père du second, Sunil (Irrfan), qu’ils ont pris chez eux, depuis la mort de sa femme survenue cinq mois plus tôt. On se rend très vite compte que c’est Julia, très directive, qui a pris les choses en main.

Au cours de cette première séance, épisode introductif, Sunil d’abord mutique ne répond aux questions du psy qu’en bengali, tandis qu’Arun traduit ses réponses. Traité en enfant capricieux par son fils et sa belle-fille qui le réprimandent sur son manque d’hygiène – il n’a pas pris de douche depuis plusieurs jours –, sur son comportement, son impolitesse, etc., il ne se détend un peu et n’accepte l’échange, dans un anglais parfait, que lorsqu’il est enfin seul face à Paul et que celui-ci place un cendrier devant lui afin qu’il puisse fumer. Dès la deuxième séance, Sunil arrive seul, douché, et commence à raconter à Paul son histoire, son mariage arrangé avec Kamala et sa première rencontre avec elle…

Au fil des rencontres, un vrai dialogue s’instaure entre les deux hommes, qui pourrait vite dépasser les simples limites imposées par la cure. On sent la sympathie réelle de Paul envers Sunil[1], sa propension à se départir de la neutralité bienveillante chère aux disciples de Freud. Sunil de son côté se livre peu à peu, fait part de ses frustrations, de ses rêves. Il évoque son amour de jeunesse sacrifié, Malini, laquelle était d’une caste inférieure et que le brâhmane qu’il est n’aurait de toute façon jamais pu épouser. Mais Sunil inquiète aussi Paul par son hostilité de plus en plus franchement déclarée à l’égard de sa belle-fille Julia qui semble l’obséder… Il est clair que sortir du deuil n’est pas son problème principal.

L’intrigue subtile qui repose sur le face à face analyste-patient, un huis-clos proche du théâtre filmé, n’en est pas moins pleine de rebondissements jusqu’au dénouement. La chroniqueuse, qui n’a pourtant pas la larme facile au cinéma, ne peut s’empêcher de pleurer à chaque visionnage de cette intrigue (qui, précisons-le, peut être regardée indépendamment des autres épisodes, chaque histoire d’un patient étant complètement déconnectée de celle d’un autre). Repenser simplement à la chanson bengalie entonnée a capella par Sunil – un Irrfan bouleversant – à la fin du dernier épisode lui mouille les yeux !

Le premier visionnage, commencé avec la crainte de s’ennuyer à mourir, s’est achevé avec la stupéfaction d’avoir été sans cesse confrontée à une œuvre riche, complexe, captivante de bout en bout. Pour maintenir la tension pendant ces sept épisodes (180 minutes quand-même, ce qui fait la durée d’un Bollywood classique), il faut du talent, un talent comparable à celui dont faisaient preuve en leur temps pour le grand écran, dans des registres différents, le Sydney Lumet de Douze hommes en colère ou le Hitchcock de Fenêtre sur cour, pour ne citer que ces deux grands classiques.

Le réalisateur de quatre épisodes de l’histoire de Sunil est Paris Barclay, souvent primé pour les innombrables séries dont il a contribué à faire le succès (d’Urgences à Lost). Ali Selim, venu de la publicité, a tourné les trois autres. Dans les deux cas, une caméra intelligente, qui ne s’appesantit pas, sachant varier les angles de prises de vue et qui ne donne jamais au spectateur l’impression d’être un voyeur. Mais pour une série qui doit renouveler constamment l’attention, le scénario est au moins aussi important que la réalisation. C’est l’auteur dramatique, romancier et lui-même réalisateur, Adam Rapp, qui l’a écrit, conseillé, pour tous les aspects culturels, par la romancière Jhumpa Lahiri, d’origine bengalie. On sent la griffe de l’auteur d’Un nom pour un autre, adapté par Mira Nair, et de Sur une terre étrangère, qui s’intéresse dans toute son œuvre aux problèmes des exilés et des déracinés. Le résultat est excellent.

Le mode de vie moderne d’Arun et de Julia, leur façon d’éduquer les enfants, sont en contraste profond avec ce qu’a vécu le vieux professeur venu de Calcutta et tout ce en quoi il croit. Il est choqué notamment par les manifestations extérieures de tendresse, par la liberté et l’assurance de la jeune femme, qu’il soupçonne très vite d’adultère. Il lui en veut d’avoir donné à sa petite-fille un nom « de bouteille d’eau minérale » et dit à Paul s’être opposé très fermement à ses tentatives de l’appeler Suny, « un nom de chien ». Il est blessé que son fils ait troqué son prénom pour celui d’Aaron. Mais ces malentendus d’ordre culturel ne sont que l’écume de sa douleur… et une sorte d’écran de fumée.

C’est dans le traitement du déracinement, à travers le sentiment de vacuité et d’inutilité qui mine le personnage, que l’œuvre acquiert sa profondeur. L’impossibilité de l’intelligent et sensible Sunil à s’adapter à des valeurs qui lui sont si profondément étrangères ou qu’il trouve odieuses, la superficialité d’un mode de vie consumériste américain qu’il relève à travers des remarques souvent drôles, parfois poignantes, tout est pointé par touches discrètes mais précises. Et, révélé par un autre dont il se sent au fond si proche, cela trouble également l’analyste Paul Weston et l’amène à se questionner sur sa propre identité.

Il devient évident à ce stade qu’il fallait de très grands acteurs pour porter ce récit tout en nuances qui n’aurait pas souffert l’à peu près. L’excellentissime Gabriel Byrne révélé dans Usual Suspects a été primé plusieurs fois à juste titre pour son interprétation élégante et quelque peu désabusée de Paul Weston. On l’a revu récemment dans une mini-série politique anglaise, toujours parfait. Pour lui donner la réplique, Irrfan Khan n’est pas en reste. On a déjà mentionné la capacité inouïe de cet acteur magnifique à changer de peau, d’âge[2]. Dans In Treatment, il change aussi de langue, passant de l’anglais au bengali avec un naturel confondant lorsque Sunil est sous le coup d’une forte émotion ou indignation. L’acteur nous avait confié, en octobre 2013, que le personnage de Sunil avait été une expérience marquante. Ailleurs, il a déclaré qu’il avait été très différent de ses autres rôles, très nouveau pour lui, car tout ou presque devait passer par l’expression verbale, et une expression corporelle limitée, donc plus affinée.

La complémentarité entre les deux comédiens est parfaite : l’un, Gabriel Byrne, tout en retenue, dans l’obligation de masquer ses émotions et sa propre solitude, l’autre, Irrfan Khan, dans la souffrance intériorisée puis libérée, dans la résignation ou la colère, dans l’humour aussi quelquefois. Ils se donnent la réplique avec l’aisance de vieux complices. L’un questionne, l’autre élude. Le premier insiste, le second finit par répondre, puis questionne à son tour. Au théâtre, on parlerait de monstres sacrés. C’est en tout cas ce qualificatif qui vient à l’esprit et ne fait que se confirmer avec ce duo exceptionnel, jusqu’au revirement final qui donne presque l’impression d’inverser les rôles entre eux, où le plus fragile cherche à apaiser celui qui l’a aidé.

La musique de Marty Beller accompagne avec légèreté la progression de l’intrigue, c’est-à-dire qu’on la remarque à peine, ce qui est parfait dans ce huis-clos psychanalytique où un tiers n’avait pas sa place. Les notes du générique composé par Avi Belleli sont à l’avenant, douces, subtiles. Mais la musique que l’on n’oublie pas est celle de la chanson populaire bengalie déjà mentionnée, fredonnée dans deux épisodes différents par Irrfan Khan. Trois fois rien. Un bijou !

Que dire de plus. Laissez de côté vos préjugés, contre les films immobiles, contre les duos d’acteurs, contre les films psychologiques, que sais-je encore, et courez glisser un œil à travers la porte entrebâillée du cabinet du docteur Weston. Tout y sonne juste. Vous ne devriez pas le regretter et serez probablement tentés de poursuivre la thérapie avec les autres patients et de passer aussi de l’autre côté du miroir, du côté du psy, Paul.

[1] Ce sera confirmé dans un autre épisode, la dernière séance de Paul avec Adèle, sa thérapeute, qui lui parle de son identification à Sunil.

[2] Il est encore vieilli ici, c’est décidément une manie des responsables de casting !

Fiche Technique :

Année : 2010
Pays : USA
Langue : Anglais, Bengali
Réalisation : Paris Barclay (semaines 1-4-6-7)
Réalisation : Ali Selim (semaines 2-3-5)
Acteurs : Gabriel Byrne, Irrfan Khan, Sumrat Chakrabarti, Sonya Walger
Musique : Marty Beller
Production : HBO Entertainment
Genre : Série, dramatique
Durée : 180 mn environ (6 x 25 mn + 1 x 30 mn)
Support : DVD HBO Home Entertainment VOSTM et VF

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