Jagadam
Traduction : Trouble
Langue | Telugu |
Genre | Film d’action |
Dir. Photo | Ratnavelu |
Acteurs | Prakash Raj, Pradeep Rawat, Ram, Isha Sahani |
Dir. Musical | Devi Sri Prasad |
Paroliers | Chandrabose, Sahiti |
Chanteurs | Ranjith, Devi Sri Prasad, Tippu, Priya, Mamta Mohandas, Raquib Alam |
Producteur | Aditya Babu |
Durée | 162 mn |
Après avoir fait des débuts remarqués avec Arya, son premier film, le réalisateur Sukumar effectue ici un retour tonitruant en plaçant le masala à un niveau technique supérieur, tout en y insérant une réflexion assez inédite dans le genre.
Sreenu (Ram) a développé depuis l’enfance une fascination pour la violence : dès son plus jeune âge, il a observé le gangster de la ville, Manikyam (Pradeep Rawat), qui imposait sa loi en tuant quiconque se mettait en travers de son chemin. C’est avec cette vision que le jeune Sreenu a grandi, se mettant en tête de rejoindre le gang de Manikyam dès qu’il le pourrait.
A la première occasion, il se fait remarquer en compagnie de ses amis, et rejoint le groupe du gangsters qui l’avait tant impressionné. Celui-ci, ayant cerné le potentiel de Seenu, va lui faire monter les échelons rapidement. Mais cette progression va monter à la tête de Sreenu, qui va décider de monter son propre gang et de rivaliser avec son ancien mentor…
Visiblement inspiré par le très bon film brésilien La Cité de Dieu pour l’esprit et le contexte, Sukumar a également réussi à se détacher de cette influence pour proposer sa propre vision d’une violence urbaine omniprésente.
La première partie du film est très bien rythmée et plutôt cohérente. Les séquences marquantes s’enchaînent et les dialogues acérés sont légion. On assiste ainsi à un spectacle qui retient l’attention même si on s’attache peu aux personnages. Il faut dire que ceux-ci ne sont guère engageants. On a d’un côté des truands peu sympathiques qui tuent plus vite que leur ombre tout en jouant des coudes pour gravir les échelons du pouvoir, et de l’autre une romance totalement convenue et inutile entre Sreenu et Subbalakshmi, une jeune fille dont on ne sait presque rien, aussi bien au début qu’à la fin du film.
En effet, même si on assiste pendant une bonne partie du film à une surdose de testostérone, la présence féminine de Subbalakshmi semblait être la moindre des choses pour adoucir le ton sérieux de l’ensemble. Mais c’est une mauvaise pioche de la part de Sukumar ! L’actrice Isha Sahani n’est visiblement pas taillée pour le maigre rôle qui lui a été octroyé. On ne parle pas ici de grand rôle, mais une présence glamour proche de la plante verte à côté de l’ascenseur du quatrième étage. Une actrice avec une présence forte aurait pu tenir tête à Sreenu et s’imposer dans un rôle ingrat, mais il n’en est rien ici, et on oublie très rapidement qu’Isha existe. Cette romance est donc un simple prétexte, n’apportant rien au film, si ce n’est une lourdeur au niveau du rythme, essentiellement en deuxième partie.
Car malgré de nombreux rebondissements, le second acte de Jagadam n’est pas à la hauteur du premier. Un certain flottement fait son apparition peu après la reprise, de sorte que l’intensité ressentie précédemment retombe, et on a l’impression de se retrouver dans un masala d’action assez classique.
Jamais à cours d’idées pour capter l’attention, Sukumar nous gratifie néanmoins d’un final plutôt réussi, même s’il peut surprendre. C’est le moyen pour lui de faire passer une réflexion assez originale pour un film telugu : la façon de montrer la violence au cinéma, à la télé ou dans la rue fait naître des vocations chez les plus jeunes, et engendre une violence toujours plus forte. L’instinct animal de chaque individu en est ainsi réveillé, et la soif de pouvoir et d’argent pousse à suivre les exemples de réussite que sont les mafieux et autres gangsters.
La scène où Sreenu voit comment la violence distillée par Manikyam lui donne le pouvoir et le respect de la ville entière en est l’exemple le plus frappant ; mais la violence ne se trouve pas seulement dans la rue ; réputé pour ses masalas d’action sanglants qui starifient un héros castagnant plus vite que son ombre, le cinéma de Tollywood est pourtant regardé en famille en compagnie des plus jeunes, qui sont les plus influençables. Sans aller dans des analyses sociologiques de comptoir, Jagadam met donc le cinéma telugu face à ses propres contradictions.
En parlant de jeunes, en voilà un qui a toutes les cartes en main pour devenir une future star. Après avoir lancé la carrière du stylé Allu Arjun dans Arya, Sukumar donne à Ram un rôle fort et marquant. Si le casting de ce jeune homme de 19 ans dans ce type de rôle laisse perplexe (il n’est pas vraiment imposant par sa carrure), l’énergie et la hargne dont fait preuve Ram sont surprenantes. Même s’il paraît juste au niveau physique, il est mentalement totalement taillé pour le film. Après avoir été présenté aux spectateurs en 2006 dans le succès Devdasu, Ram montre un potentiel plutôt prometteur à l’aube de ses 20 ans. On le verra prochainement dans un genre plus léger aux côtés de l’actrice Genelia dans Ready, dirigé par le réalisateur de Dhee.
D’un point de vue technique, Jagadam marque les esprits : l’équipe de techniciens qui assiste Sukumar a réalisé un travail impressionnant, et la photographie de Ratnavelu est vraiment haut de gamme. Dès le générique, on sent que la production est largement supérieure à la moyenne. Le budget de 14 crores a contribué en grande partie à cette réussite technique (le cachet des artistes juniors n’étant pas très élevé). Les scènes de combat sont réalistes, bien chorégraphiées et servies par un excellent montage de Sreekar Prasad. Celui-ci n’est pas un novice en la matière puisqu’il a collaboré maintes fois avec Mani Ratnam (Guru, Yuva, Kannathil Muthamittal), et contribué largement au succès de Pokiri.
Les séquences musicales sont dans un style moderne, mais là aussi très maîtrisées (des item numbers sont notamment au programme). Chorégraphies soignées, mises en situation originales et sens du rythme sont autant de qualités présentes dans les clips.
La musique de Devi Sri Prasad s’inscrit totalement dans l’esprit du film, urbain, froid et rugueux. Ainsi, les mélodies sont réduites au minimum et les rythmes gonflés de basses. Il en découle des hits qui ont cartonné auprès de la jeunesse d’Andhra Pradesh, notamment l’hymne Violence is a Fashion. Néanmoins, les amoureux de belles mélodies ou de musique traditionnelle seront assez peu réceptifs à ce son, somme toute très technoïde.
Jagadam est vraiment un film à conseiller aux amateur de films d’action et de gangsters. Techniquement au sommet, le film réussit à allier le fond et la forme avec un message fort sur l’omniprésence de la violence, notamment dans l’industrie cinématographique… Qui sait, cette relative originalité pourra peut-être intéresser les réfractaires aux films violents !