Madras Cafe
Langue | Hindi |
Genre | Film de guerre |
Dir. Photo | Kamaljeet Negi |
Acteurs | John Abraham, Nargis Fakhri, Siddharth Basu, Prakash Belawadi, Rashi Khanna |
Dir. Musical | Shantanu Moitra |
Paroliers | Ali Hayat, Zebunissa Bangash, Manoj Tapadia |
Chanteurs | Papon, Zebunissa Bangash |
Producteurs | John Abraham, Ronnie Lahiri |
Durée | 130 mn |
Vikram Singh (John Abraham) est devenu une épave qui boit dès qu’il émerge d’un demi-sommeil hanté par des images de massacres. En titubant, il se réfugie comme souvent depuis 3 ans dans l’église voisine pour trouver un peu de réconfort dans la prière. Intrigué par cet homme qui parle tout seul de complot en pleurant, le prêtre l’invite à se confier. Vikram raconte alors que 5 ans plus tôt, la guerre civile faisait rage au Sri Lanka. Les exactions poussaient les civils tamouls à trouver refuge par milliers dans l’Inde voisine. Le premier ministre indien avait alors décidé d’intervenir militairement pour tenter de restaurer la paix. Mais la force d’interposition avait fini à son tour par être emportée dans la tourmente, et le gouvernement a commencé à craindre que le Sri Lanka ne se retourne contre l’Inde.
Les services secrets furent mis à contribution dans une tentative de reprendre le contrôle de la situation. Et Vikram, alors officier de RAW (Research & Analysis Wing, l’équivalent indien de la DGSE française) fut envoyé sur place, à Jaffna, pour diriger les opérations spéciales. Il s’agissait de briser par des moyens non-conventionnels le LTF, le groupe rebelle le plus déterminé à faire échouer le processus de paix. Sur le bateau qui traversait le détroit de Palk, Vikram fit la connaissance de Jaya Sahni (Nargis Fakhri), une journaliste anglaise venue enquêter sur ce conflit qui mènera à l’assassinat du premier ministre indien…
Madras Cafe se déroule entre 1988 et 1991, sur fond de guerre civile sri-lankaise. La présentation de la situation politique est aussi claire qu’effrayante. Un soin constant du détail et de la réalité historique a été apporté, au point que le film est certainement difficile à regarder pour ceux qui ont connu de près ou de loin cette époque. Le martyre des civils ne nous est pas épargné et les motivations des belligérants sont présentées de façon crédible. Le parti de libération est nommé LTF, mais on ne s’y trompe pas, c’est bien du LTTE, Les Tigres Tamouls, dont on parle. Son leader, nommé ici Anna Bhaskaran, ressemble même physiquement à Velupillai Prabhakaran. Ce n’est pas un monstre sanguinaire et les auteurs vont jusqu’à lui donner la parole dans une interview de Jaya qui ressemble à s’y méprendre à celle d’Amar dans Dil Se.
De la même façon, le premier ministre assassiné est bien Rajiv Ghandi. L’évocation quasi-christique de l’ancien premier ministre a déclenché la fureur du BJP (parti nationaliste indien) qui a demandé l’interdiction du film considérant qu’il s’agissait d’une œuvre de propagande pour le parti du Congrès. À l’autre extrême, des nationalistes tamouls ont demandé son interdiction car ils estimaient que le LTTE était décrit sous un jour défavorable (les Tigres Tamouls sont considérés encore aujourd’hui comme une organisation terroriste). La justice indienne a débouté le BJP et le film a pu être diffusé normalement au nord de l’Inde. Tel n’a pas été le cas au Tamil Nadu où la bataille judiciaire en a retardé la sortie.
L’arrière-plan de ce film d’espionnage se passe dans un pays étranger, mais les auteurs s’intéressent avant tout à l’Inde. Ils nous offrent un regard politique lucide sur l’histoire récente de la nation dans une construction qui mène inéluctablement à l’attentat suicide de 1991. Le géant naïf qui voulait bien faire en stoppant le drame en cours chez son petit voisin s’est retrouvé piégé et a dû battre en retraite. Le parallèle avec le personnage joué par John Abraham est saisissant. Son physique colossal n’est d’aucune utilité dans l’affrontement qui le dépasse, et lorsque l’issue fatale est consommée, il ne lui reste plus qu’à raconter sa défaite.
Madras Cafe aurait été parfait si les auteurs n’avaient pas aussi cherché des responsabilités extérieures. Shoojit Sircar, à qui l’on doit Vicky Donor en 2012, n’a pas su résister aux sirènes complotistes en impliquant de façon très maladroite de mystérieuses forces de l’argent étrangères, anglaises en particulier. S’il est clair que des aides importantes ont été fournies aux belligérants, vouloir faire croire qu’elles trouvent leur origine dans des entreprises privées occidentales assouvissant un plan machiavélique est invraisemblable. Ce travers est cependant tellement commun qu’on voudra bien le pardonner. Il faut bien parfois trouver une raison à l’inimaginable…
Il se dit que le film a été réalisé avec un budget très réduit, inférieur à 1.3M € (10 crores). Le tour de force est prodigieux tant les images sont réalistes. Les effets spéciaux sont exceptionnels car totalement invisibles, à des années-lumière d’un Krrish 3 et autre Dhoom 3. La caméra en constant mouvement, les scènes de combat réalistes, les plans très nombreux en extérieur, le montage extrêmement efficace, tout concourt à immerger le spectateur dans l’histoire. Madras Cafe marque certainement un tournant dans le cinéma indien en proposant une réalisation au plus haut niveau international. On pourrait même penser par instants à La Déchirure ou à Apocalypse Now.
L’histoire est celle d’un compte à rebours dont l’issue est connue d’avance. Le scénario nous offre cependant suffisamment de rebondissements pour nous prendre sans nous lâcher jusqu’à la fin tragique. La tension est constante et il n’a pas besoin d’histoire d’amour pour nous apporter des moments très émouvants. S’il pèche parfois, c’est à cause de détails comme l’efficacité quasi magique des services du chiffre indien ou encore la résilience ultrarapide de Vikram. Les personnages sont d’une complexité très bienvenue qui ajoute encore au sentiment de réalité.
Cette réussite doit aussi beaucoup à une distribution très investie. John Abraham est la tête d’affiche et porte littéralement le film. Il est également co-producteur et c’est lui qui l’a défendu lorsqu’il a été attaqué avant sa sortie. Il a su fort à propos abandonner son allure de gravure de mode musculeuse, pour rentrer dans ce personnage écrasé par l’Histoire. Nargis Fakhri est en revanche un peu moins convaincante, peut-être à cause de son accent new-yorkais très prononcé qui convient mal à une journaliste anglaise. Elle s’est pourtant éloignée elle aussi de son image de pin-up et parvient à être crédible en correspondante de guerre.
Le DVD ne comprend pas d’entracte, même si on devine que la coupure était initialement prévue. Les chansons sont également absentes ce qui convient parfaitement à ce film grave. La production a toutefois présenté deux morceaux Sun Le Re et Anjabi à des fins de promotion, mais ils ne sont pas intégrés au film. La bande-son de Shantanu Moitra, tout comme les bruitages accompagnent remarquablement les images. Les bruits des combats sont terrifiants et la musique déchire le cœur…
Shoojit Sircar a réalisé avec Madras Cafe un film en tous points remarquable. C’est une histoire d’espionnage qui porte un regard politique fort sur le passé récent de l’Inde. La mise en images est d’un réalisme à couper le souffle et rejoint ce qu’on peut voir de plus abouti au cinéma.
La saison des prix s’est achevée sans que Madras Cafe soit récompensé. C’est extrêmement regrettable car il s’agit d’un des meilleurs films de l’année 2013, aussi bien techniquement que dans sa réalisation, son scénario et le jeu de John Abraham.