Pad Man
Langue | Hindi |
Genre | Comédie dramatique |
Dir. Photo | P. C. Sreeram |
Acteurs | Akshay Kumar, Sonam Kapoor, Radhika Apte |
Dir. Musical | Amit Trivedi |
Parolier | Kausar Munir |
Chanteurs | Mika Singh, Mohit Chauhan, Arijit Singh, Jonita Gandhi, Amit Trivedi, Yashita Sharma, Yashika Sikka, Rani Kaur |
Producteurs | Twinkle Khanna, Hitesh Thakkar |
Durée | 122 mn |
Cet article n’a pas fait l’objet d’une relecture par les membres de l’équipe de rédaction. Comme pour One Night Stand, les propos qui suivent n’engagent donc que le rédacteur.
Le mâle alpha ultime — Akshay Kumar — est vraiment prêt à tout pour arrondir ses fins de mois : maniant le kirpan avec autant de dextérité que le fusil mitrailleur, il s’est enrôlé en 2019 comme bidasse sikhe dans le sauvagement poussiéreux Kesari (lire ici). Peu avant, il s’était également essayé en tant que manutentionnaire et agent de piste dans le très consommateur de kérosène Airlift… tout en nous prouvant dans Toilet, habilement mais sans gel hydroalcoolique, qu’il était surtout doué pour la maçonnerie et la déco d’intérieur.
Akki démontre à chaque fois qu’il sait aligner les cadavres, explosés par ses mains puissantes, aussi bien que les métiers les plus insolites. Recruté par feu l’ANPE, il a fait du tout-venant une véritable profession ; il a donc fini par s’essayer — en free lance — à la plomberie et à d’autres waters.
Ainsi, dans Padman, ce dépanneur de l’extrême, intrépide et bon marché, va monter sa boîte perso pour mecspliquer aux femmes comment évacuer siphons, désengorger canalisations et colmater fuites dans leur trop bouchée tuyauterie féminine. Tout un programme !
Lakshmikant Chauhan (Akshay Kumar), est un homme heureux — en mode Rizwan Khan. Il voue un amour dévotionnel à sa tendre Gayatri (Radhika Apte [1]). Ce gars bien, ce chic type, ferait tout pour elle, comme lui cueillir des fleurs ou même la porter sur son vélo. Mais Lakshmikant est surtout un homme habile de ses mains, il donne forme à des créations ingénieuses… c’est un inventeur en puissance doté d’une âme charitable et d’une innocence à toute épreuve.
C’est un donc grand gaillard comme on n’en fait plus en terres d’Hindoustan. La preuve ? Quand son épouse, réglée et « impure », doit camper à l’extérieur de la maison, il est révolté : il tire la tronche.
La révélation de cette injustice sociale est un véritable choc pour le candide Lakshmikant. Avec stupeur il découvre d’abord que les femmes ont des règles (car quand elles dorment sur le perron de la porte c’est juste pour le fun) ; puis que les filles de Parvati sont en conséquence considérées comme impures ; et finalement qu’à cette impureté symbolique et discriminatoire s’ajoute une insécurité sanitaire et de genre : comme de millions d’Indiennes et de femmes dans le monde, Gayatri a recours à des torchons insalubres et à d’autres serpillières de fortune pour cacher ce qui est socialement et culturellement considéré comme une honte — voire pire.
L’éventualité que son épouse soit victime d’une infection fulminante sème horreur et panique dans le cœur héroïque de Lakshmikant. L’inventeur en devenir se lance alors dans l’industrie artisanale de serviettes hygiéniques. Son entreprise, que d’aucuns considèrent symptôme d’une maladie mentale, lui coûtera le cœur de Gayatri… tout en devenant un succès planétaire lui ouvrant le cœur de la jeune et délurée Pari (Sonam Kappor).
Pad Man s’inspire fortement de l’histoire d’Arunachalam Muruganantham — le « Menstrual Man » — un inventeur et entrepreneur Indien s’étant payé le luxe de concevoir une machine permettant de fabriquer des protections hygiéniques à bas prix. Un petit pas pour les compresses, mais un grand pas dans la lutte contre la précarité menstruelle, surtout en milieu rural.
Pad Man n’est pas le premier film abordant cette histoire hallucinante. La vie d’Arunachalam et l’importance de l’hygiène menstruelle en Inde sont périodiquement portées à l’écran [sic], notamment dans le fauché mais non moins important Phullu, et dans le tristement jetable et mal nommé I-Pad. Côté documentaire, citons Menstrual Man ainsi que Les règles de notre liberté, lesquels déploient leurs ailettes et nous assurent une protection durable — ultra secure night — si l’on veut creuser le sujet.
Plus précisément, le scénario de Pad Man est tiré de la nouvelle « The Sanitary Man of Sacred Land » écrite et adaptée par Twinkle Khanna — actrice, productrice, écrivaine et accessoirement parèdre du JCVD indien.
Dans des cultures où les discussions sur les corps et fluides féminins sont passées sous silence, ce film s’impose alors comme absolument nécessaire, ne serait-ce qu’à cause de son sujet et des problématiques soulevées. Il a toutefois tendance à les malmener à tour de bras… tout comme Akshay Kumar maltraite l’art dramatique ainsi que la biographie de A. Muruganantham, c’est-à-dire : sans ménagement.
Un des grands défauts de ce scénario c’est qu’il n’est pas anti-irritation : la bobine alterne le sérieux et la farce bouffonne, sans que le rythme soit pour autant uniforme et cohérent. Dans ce film rempli de bonnes intentions — et de protections hygiéniques plein les poches — tout devient dérisoire, et la gravité du sujet et de l’entreprise A. Muruganantham est réduite à la portion congrue.
Pire encore, tout se passe comme si depuis Toilets les réalisateurs avaient compris qu’une diction retardée — à la JCVD — faisait gagner des points à Kumar le bellâtre. Il excelle dans les rôles de « simplet ». C’est vrai que sa diction à la Rain man ça vous brise un cœur de femme. Et le seul pouvoir du Pad Man incarné par Akshay ce sont ses larmes qu’il croit dotées d’un pouvoir d’argumentation hors compétition. Même des serviettes anti-fuites de la gamme haute absorption ne feraient pas l’affaire.
En résumé, l’ingénuité du personnage qu’il campe n’a d’égale que l’étroitesse du scénario qui nous est présenté : Arunachalam Muruganantham a passé vingt ans à inventer et perfectionner cette machine qui a sans doute amélioré la vie et le quotidien de milliers de femmes. Au bout de vingt minutes Akshay Kumar, lui, l’a déjà pliée, et il est déjà en train de la benchmarker et de réaliser son business plan.
Non, le problème de Kumar — alias Lakshmikant si vous ne l’avez pas compris — c’est qu’il a des missions d’ordre national et culturel bien plus importantes : il a la fâcheuse habitude de perdre d’abord et de vouloir récupérer ensuite, et aussitôt, ses biens aimés (son épouse, ses sœurs, sa mère, ses meufs à lui quoi !). À toutes ces femmes il ne va pas tarder à leur expliquer la vie.
Pour faire la promotion de cette bobine contenant des résidus de pesticide, le patriote menstruel — M. Kumar — s’est affiché en compagnie de ses nouveaux amis de la branche étudiante du RSS, une organisation connue et reconnue pour sa violence contre les minorités et son positionnement antiféministe — du « Féminisme washing » donc ? Non !…
C’est vrai que la pellicule nous offre deux heures de bonheur avec une belle palette de stéréotypes sur la masculinité, telles que le cinéma et Bollywood les chérissent habituellement.
En effet, les hommes, les vrais, nous sommes toujours travaillés par la même question : comment pouvons-nous nous considérer encore comme des hommes si nous échouons à protéger nos femmes ? Hein ?
Il va sans dire que nous avons l’obligation morale de leur accorder notre protection, ainsi que notre savoir-faire ancestral concernant les règles. Du mansplanning en veux-tu ? Du mansplanning en voilà — dans ta culotte !
Tout au long de la bobine le personnage masculin agit comme un monomaniaque suivant cette maxime. Pour assouvir ses propres obsessions, il occupe et viole sans cesse l’espace des autres, surtout celui de femmes. C’est à se demander s’il est stupide ou égoïste, ou s’il n’est pas conscient que ses actes sont déplacés ou peuvent être humiliants.
Effectivement, après que son épouse ait décliné son invitation à porter ses prototypes — elle lui confie qu’elle préfère mourir de maladie plutôt que de vivre dans la honte (causée par ses menstrues) —, Kumar n’en fait qu’à sa tête et part en quête de nouvelles bêta-testeuses.
Il faut le voir escalader des murs et réveiller par surprise une fillette, à peine pubère, pour lui remettre contre son gré des protections hygiéniques, et ensuite tenter de fuir au beau milieu de la nuit, surpris de la consternation que son acte suscite alors que la fillette et sa mère ont pris peur et alerté tout le village — c’est tellement what the f… !
La pellicule ne pouvait pas non plus faire l’impasse sur une petite romance intergénérationnelle des familles entre le cinquantenaire marié (tonton Kumar) et la Manic Pixie Dream Girl de service (Sonam Kapoor, alias Pari). Le cahier des charges est bien rempli.
Incarnant à la perfection un personnage unidimensionnel, Kapoor est là pour relancer la production (de serviettes adhésives, normales, ultra-minces, pour flux abondant). Elle arrive surtout à point nommé, car on ne le dira jamais assez : un bisou de Sonam Kapoor ça vous requinque un bonhomme. Et oui, répudié par les siens, le pauvre Lakshmikant en avait terriblement besoin pour renforcer son ego et réaffirmer sa virilité.
La jeune et déjantée Pari va donc l’aider à mettre au point sa machine, à relever son entreprise, à conquérir son marché, à faire des présentations promotionnelles devant les Nations Unies (car on s’y invite comme ça, quand on veut), avant de se faire tout simplement tej’ comme une serviette hygiénique non réutilisable par un Lakshmikant en mode thug. Définitivement, on peut toujours compter sur lui pour briser les cœurs les plus farouches.
Les affaires de cœur finissent toujours par effacer les femmes. Film de mer…
Le film peine à déconstruire (et c’est un bien grand mot) le stigmate qu’il est censé combattre. Paradoxalement il n’initie pas grand chose en termes de débat sur les tabous, les mythes et les problématiques sanitaires liées aux menstruations.
À notre sens, il enfonce et assène au contraire des stéréotypes dangereux. Le risque est sans doute de surévaluer l’importance d’un film grand public tout en négligeant l’impact et la nécessité d’autres types d’engagement et d’actions collectives militantes.
Ce qui est très dommage c’est qu’alors que Pad Man aurait dû fabriquer une arme pour lutter contre la précarité menstruelle, il préfère faire du rafistolage pour servir des idéaux paternalistes et nationalistes. C’est vrai qu’avec le temps Akshay Kumar (tout comme Ajay Devgan) est devenu un des meilleurs VRP du BJP. Toujours paré d’un débardeur très saillant il deale avec cette came infecte.
Le film a lancé ponctuellement à sa sortie la mode du Pad Man challenge. C’était l’occasion pour les grandes stars du cinéma indien de faire leur autopromotion en s’affichant fièrement sur les réseaux sociaux avec des serviettes hygiéniques. Or, se prendre en photo avec une serviette hygiénique à la main ne changera rien à la réalité du terrain si l’on ne fait pas le nécessaire pour élargir l’accès à l’éducation et affirmer que la santé menstruelle est un droit.
C’est malheureux que Pad Man rate son sujet…
… il est cependant ce moment de grâce inattendue, quand Akshay met à l’épreuve son invention et se retrouve l’entrejambe ensanglanté, souillé, courant tel un dératé pour plonger dans les eaux du fleuve qui cacheront et nettoieront sa honte… comme si avec cet « accident », avec cette tâche de sang inespérée, là, très rouge — entre dégout, honte et peur sociales — il vivait un peu, et comprenait peut-être, cette expérience qui participe de la construction des diverses et multiples identités féminines [2].
[1] Pauvre Radhika, que fait-elle dans ce film ?… exit les très bavardes Lajjo et Kalindi de ses rôles précédents (La Saison des femmes et Lust Stories).
[2] Aurélia Mardon, « Honte et dégoût dans la fabrication du féminin. L’apparition des menstrues », Ethnologie française, 2011, Vol. 41, p. 33-40