Silsila
Traduction : Chaîne
Langue | Hindi |
Genre | Classique |
Dir. Photo | Kay Gee |
Acteurs | Amitabh Bachchan, Rekha, Jaya Bachchan, Shashi Kapoor, Sanjeev Kumar, Kulbhushan Kharbanda |
Dir. Musical | Shiv-Hari |
Paroliers | Javed Akhtar, Harivansh Rai Bachchan, Mirabai |
Chanteurs | Lata Mangeshkar, Kishore Kumar, Amitabh Bachchan, Pamela Chopra, Rani Harban Singh and Party |
Producteur | Yash Chopra |
Durée | 180 mn |
Il fallait tout le talent de Yash Chopra pour réussir ce film qui met en scène romantisme et adultère, qui valorise l’amour plus fort que les conventions tout en glorifiant les liens du mariage, qui flirte avec le "socialement incorrect", tout en restant dans les limites du moralement acceptable.
Shekhar (Shashi Kapoor) et Shobha (Jaya Bachchan) sont fiancés depuis longtemps, Shekhar attend pour se marier que son ami poète Amit (Amitabh Bachchan) trouve la femme de sa vie, afin qu’ils puissent se marier le même jour. Amit tombe éperdument amoureux de Chandni (Rekha), mais peu après Shekhar se tue dans un accident. Shobha, enceinte, est désespérée. Amit l’épouse tout en souffrant de sa séparation avec Chandni. Cette dernière accepte alors le mariage arrangé par son père avec un gentil docteur (Sanjeev Kumar).
Quelque temps plus tard, les deux couples sont amenés à se rencontrer. Amit et Chandni jouent consciencieusement leur rôle d’époux et d’épouse mais le cœur n’y est pas… Ils ne résistent pas longtemps à leurs sentiments l’un envers l’autre, même si les risques d’être démasqués se multiplient, alors qu’ils essaient (mollement) de sauver les apparences. Leurs conjoints respectifs doivent bientôt se rendre à l’évidence…
Avec un scénario pareil, Silsila pourrait être un vaudeville bien lourd ou un mélodrame larmoyant. Mais il n’en est rien, grâce à la qualité de la réalisation et du jeu des protagonistes. En effet, la mise en scène est la plupart du temps très sobre, elle ne théâtralise que l’amour mais jamais les événements (sauf la fin). Les situations, les gens qui surprennent Amit et Chandni et les poussent à sortir de la clandestinité, sont perçus comme des empêchements à leur amour, traités comme des moustiques importuns que ces deux inconscients repoussent de la main, sans penser qu’ils pourraient être piqués. Il y a une sorte d’innocence dans leur relation, comme si leurs sentiments les anesthésiaient, leur faisant perdre toute notion de morale, de bienséance, de bien et de mal.
La scène de Holi est le point d’orgue du film : ils se retrouvent tous à la fête organisée dans un jardin, au début chacun plaisante et s’amuse, mais bientôt Amit chante Rang Barse et il emmène Chandni dans sa danse, ils se dévorent du regard, totalement aveugles à ce qui les entoure. Leurs conjoints ne peuvent que rester là, pétrifiés. Rien n’est dit mais cette scène est poignante, autant par l’amour qui étincelle dans les yeux de Amit et Chandni, que par la tristesse qui inonde ceux de Shobha. Est-ce parce que c’est Amitabh Bachchan lui-même qui chante ? Est-ce parce que certains journaux de cette époque ont raconté que… On ne peut s’empêcher de penser que la douleur de Jaya n’est pas totalement feinte. Le tournage a dû être difficile pour elle.
Heureusement tous les personnages sont traités avec un immense respect, à commencer par celui de Shobha qui est le véritable pivot du film, faisant évoluer ses sentiments avec l’histoire et le temps, incarnant la beauté des liens du mariage, les sentiments qui naissent et s’épanouissent avec le quotidien, le courage des celles (et ceux) qui se dévouent au présent et à l’avenir sans se repaître des illusions du passé.
Yash Chopra est vraiment un grand monsieur pour avoir réussi à traduire autant de sensibilité autour de ce thème. Il a su merveilleusement tirer parti de ses interprètes, en mettant en valeur leurs points forts : la force de caractère de Jaya, la séduction de Rekha, la voix d’Amitabh qui chante et surtout récite ses poèmes de façon inimitable, faisant tomber sous son charme non seulement Rekha, mais toute spectatrice… On peut saluer les performances de tous les acteurs qui rendent leurs personnages si crédibles et si humains. Ils n’en rajoutent jamais, ne pleurent pas beaucoup, mais l’effet est là. Gorge serrée, on suit les épisodes de leur vie sans pouvoir prendre parti pour l’un ou pour l’autre, en revanche une chose est sûre : on voudrait vraiment qu’ils trouvent tous le bonheur et la paix. Mais comment les uns peuvent-ils être heureux sans faire le malheur des autres ?!
La musique est à la fois un point fort et un point faible de Silsila. Un point fort parce qu’elle nous fait entrer dans l’univers amoureux d’Amit et Chandni, dans leur complicité poétique. Les voix sont très belles, les mélodies douces, la BO a été un hit de l’époque et les chansons sont restées des classiques, notamment Yeh Kahan Aa Gaye Hum et Neela Aasman So Gaya.
Un point faible parce qu’à la cinquième promenade romantico-bucolique, le doigt se crispe furieusement sur la télécommande : à quoi va-t-on avoir droit cette fois ? les tulipes ? (les tulipes de Silsila sont célèbres). La forêt enneigée ? La forêt en automne, en hiver, au printemps, en été, de nuit ??? On a beau admirer les diverses tenues des amoureux, tantôt sportives, tantôt "classy", tantôt "tradi", la lassitude point. Et avec la lassitude, vient la question qui casse l’ambiance : comment les parents puis les conjoints peuvent-ils ne pas s’apercevoir de ces longues absences (comment ça, ce sont des promenades imaginaires ? ils manquent d’imagination alors !) ?!
L’autre point faible de Silsila, c’est la dernière scène, qui rompt complètement avec le style du film, et même trahit le ton plutôt réaliste qui nous avait attachés à l’histoire et ses personnages. Mais d’une certaine façon, cette fin typiquement bollywoodienne nous rassure aussi.
Elle n’a cependant pas suffi à rassurer le public lors de la sortie du film, les spectateurs ont boudé Silsila, choqués par cette histoire d’adultère traitée sans hypocrisie. KANK a rencontré la même "levée de boucliers" récemment, 25 ans après… Mais là s’arrête la comparaison, dans Silsila l’amour est partout, personne n’est odieux et le film est doté d’un charme, d’une finesse qui font honneur à Yash Chopra.